Chef principal de l’Orchestre symphonique d’Helsinki, Susanna Mälkki est particulièrement attachée à faire connaître le répertoire contemporain. Elle sera au Palais Garnier pour diriger la création mondiale de Trompe-la-mort de Luca Francesconi et, en concert, la création française du Concerto pour violoncelle de Pascal Dusapin, Outscape."

Octave Magazine

Sarah Barbedette

En 2011, vous avez dirigé Quartett de Luca Francesconi à la Scala de Milan. De quelle époque date votre rencontre avec lui ?

Susanna Mälkki : Je connaissais la musique de Luca Francesconi avant d’arriver à Paris, mais c’est lorsque je suis venue diriger l’Ensemble intercontemporain que j’ai eu l’occasion de le rencontrer et de travailler avec lui. Si je me suis très tôt dirigée vers la musique de Luca, c’est qu’elle possède une expressivité exceptionnelle et une liberté esthétique très remarquable dans le paysage contemporain. J’ai d’ailleurs choisi de consacrer mes tout premiers enregistrements à Francesconi et à Mantovani – et le hasard veut que ce soient les deux compositeurs qui m’ont valu de venir diriger à l’Opéra de Paris !

Trompe-la-mort est le deuxième opéra de Luca Francesconi que vous dirigez. De cette partition que vous découvrez, quels particularismes vous frappent ?

S.M.: Pour Quartett – comme pour Trompe-la-mort –, Luca a choisi d’écrire le livret de l’opéra ; cela explique probablement que la composition soit en elle-même une lecture du texte. Pour Quartett, Luca s’appuyait sur la lecture qu’Heiner Müller avait pu faire des Liaisons dangereuses et sa lecture ajoutait au texte existant une strate supplémentaire qui, avec beaucoup d’à-propos, remplissait les vides laissés par Heiner Müller. De la même façon, il me semble qu’avec Balzac, il travaille sur une série de moments-clés, tout en respectant parfaitement la trame narrative. C’est une lecture passionnante car elle s’exprime tout à la fois dans le choix des mots, à travers la rédaction du livret, et dans la musique qui, en plusieurs endroits, prend en charge le récit à travers des parties purement orchestrales. La taille des développements, les proportions, l’ampleur qu’il choisit ou non d’accorder aux différents passages, la puissance des contrastes : tout concourt à servir une lecture de l’œuvre particulièrement dramatique. C’est un trait caractéristique de son écriture et c’est en quoi je dirais qu’il est un véritable compositeur de théâtre. Son regard théâtral est également très présent dans la manière qu’il a de créer les personnages musicalement, et ainsi, en quelque sorte, de les recréer. Balzac a parfaitement décrit les personnages de la Comédie humaine, avec force détails, et pourtant dans l’identité musicale qu’il leur donne, Luca parvient à proposer des personnages qui sont autres tout en étant les mêmes. Cette lecture dénote par endroits une vraie tendresse pour les personnages, dont il sait rappeler le caractère profond en des moments où ils peuvent sembler égarés ou manipulés. Chez les bons compositeurs d’opéra, il y a un sous-texte : l’orchestre sait déjà ce que les personnages ne savent pas encore. Il constitue une sorte d’inconscient. C’est le cas dans Trompe-la-mort. Par ailleurs, ce que décrit Balzac a existé et continue d’exister. Luca a mis cette persistance au cœur de son écriture : il l’a non seulement perçue mais il l’a aussi mise en musique.

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